03 décembre 2004

Pas si plat 

La presse est unanime : la nette victoire du "oui" au cours du référendum interne au PS consacre enfin la stature de présidentiable de François Hollande. C'est étrange, mais j'avais cru lire exactement la même chose après le congrès de Dijon et après la razzia socialiste sur les régions en mars 2004. C'est à se demander combien de victoires Hollande devra remporter pour être finalement pris au sérieux.

Oui, je sais, il est tout mou, il a une tête de flan, un charisme proche de zéro et une diction horripilante. Tous les médias se moquent régulièrement de lui, des Guignols qui l'ont portraituré en Lou Ravi jusqu'à The Economist qui avait légendé une photo du premier secrétaire d'un cinglant "Why is Hollande so flat?". Mes amis blogueurs ne sont d'ailleurs pas non plus en reste, comme François Brutsch qui compare le n°1 du PS à "bébé Cadum" (preuve qu'il a des références culturelles un peu, hum, datées). Si j'étais méchant, j'ajouterais que la seule chose qui rend Hollande sympathique aux yeux de l'opinion est sa femme concubine.

A l'évidence, donc, il n'y a vraiment qu'une seule catégorie de personnes qui prend encore le Premier secrétaire au sérieux : les électeurs. Et pas seulement les électeurs du PS, qu'on peut éventuellement soupçonner de légitimisme forcément primaire (parce qu'un légitimisme secondaire n'aurait pas beaucoup de sens) d'après 21 avril. Son histoire électorale au niveau national est en effet sans taches : une victoire convaincante (22%) à la tête de la liste socialiste aux européennes de 1999, loin devant une opposition divisée, et un tiercé gagnant comme véritable patron du PS en 2004 (régionales, cantonales, européennes).

Son parcours à l'échelon local, bien raconté par Le Monde, est plus chaotique. Il faut dire que sa terre d'élection, la Corrèze, bastion de la Chiraquie, n'était pas des plus accueillantes. Surtout pour un jeune technocrate comme Hollande : "Bourgeoisie normande, lycée Pasteur à Neuilly-sur-Seine, Sciences-Po, HEC, ENA, cela faisait beaucoup de handicaps dans la vie" note joliment le journaliste du Monde.

Hollande se fait logiquement massacrer en 1981 quand, à 26 ans, il tente de ravir la troisième circonscription de Corrèze à Jacques Chirac lui-même. Mais son ancrage local semble aujourd'hui bien assuré : il a conservé son mandat de député de la première circonscription de Corrèze en 2002, malgré la vague bleue nationale et une campagne aggressive de la part des responsables nationaux de l'UMP pour le déloger de son siège. Surtout, il a réussi, en 2001, à prendre la mairie de Tulle à l'ultra-chiraquien Raymond-Max Aubert, alors que les circonstances n'étaient pas franchement favorables aux candidats socialistes.

Le parcours électoral de Hollande n'est pas sans faute : deux défaites aux législatives (1981 et 1993) et deux défaites aux municipales (1989 et 1995). Mais il reste assez impressionnant. Il est d'ailleurs éclairant de le comparer à celui de Nicolas Sarkozy, dont la stature de présidentiable n'est jamais remise en cause.

Contrairement à Hollande, Sarkozy a remporté tous ses succès électoraux sur un terrain électoral (les Hauts-de-Seine en général, et Neuilly en particulier) par nature acquis à la droite. Tout cela ne rabaisse en rien les qualités d'homme d'appareil du petit Nicolas, dont le haut fait est d'avoir délogé Pasqua de la mairie de Neuilly en 1983, mais permet de douter de sa capacité à s'imposer sur des terrains plus hostiles. Surtout que ses rares rencontres avec des électorats moins génétiquement ancrés à droite ont été désastreuses : une débâcle historique aux européennes de 1999 (la liste RPR-DL qu'il conduit fait moins de 13% des voix, et est ironiquement devancée par celle de Pasqua) et une cruelle défaite lors du référendum en Corse en 2003. Enfin, il faut bien constater que la Sarkomania n'a pas sauvé les candidats UMP en 2004, comme Jean-François Copé a pu le constater en Ile-de-France.

Tout cela n'empêchera les observateurs (moi le premier) de continuer à trouver François Hollande désespérement médiocre, et Nicolas Sarkozy invariablement impressionnant. Mais leurs histoires électorales respectives devrait nous faire réfléchir, surtout si l'on se rappelle que l'aura médiatique n'est pas nécessairement le meilleur indicateur avancé du succès dans les urnes.