01 mai 2013

Et les OPA sauveront l'économie française 

Le Wall Street Journal l'affirmait ce matin, et le ministre l'a confirmé cet après-midi : Arnaud Montebourg est bien personnellement intervenu pour bloquer le rachat de Dailymotion par Yahoo!. En se justifiant ainsi :
Nous souhaitons un développement équilibré. Nous sommes pour une solution 50-50 du type de celle qui a existé entre Renault et Nissan, où l'identité des deux entreprises est préservée. C'est l'intérêt de la France et l'intérêt de Dailymotion.
Vu la façon dont Yahoo! a traité les sociétés qu'il a rachetées par le passé, la thèse selon laquelle cette intervention politique était dans l'intérêt de Dailymotion (ou au moins de ses utilisateurs) peut se plaider. Je suis en revanche beaucoup beaucoup plus réservé sur l'idée que les solutions "où l'identité des deux entreprises est préservée" soit dans l'intérêt de la France.

Je suis même persuadé qu'ouvrir très largement la porte au rachat des entreprises françaises par des sociétés étrangères serait l'une des meilleures choses qui puisse arriver à l'économie française. Ou à tout le moins, mais cela revient à mon sens au même, à l'état des relations sociales en France. Et c'est l'économiste Thomas Philippon qui m'en a convaincu.

En 2007, bien avant d’atterrir au cabinet de l'actuel ministre de l'économie et des finances, Philippon avait en effet commis un excellent petit livre sur les relations sociales en France, publié à la non moins excellente République des idées. Le Capitalisme d'héritiers (voir les critiques de Lectures et d'Econoclaste) s'appuyait sur des enquêtes internationales d'opinion pour montrer que :
  1. contrairement à ce qu'affirment régulièrement certains commentateurs et hommes politiques, il n'y a pas de faiblesse ou de déclin post-35 heures de la "valeur travail" en France : la place qu'accorde les Français au travail est en réalité extrêmement élevée, et nettement supérieure à celle que disent lui donner les habitants des autres pays développés ;

  2. l'état des relations sociales en France est en revanche catastrophique : que l'on interroge les patrons ("les relations entre syndicats et patronats sont-elles constructives ou conflictuelles?") ou les salariés ("êtes-vous personnellement satisfait au travail?"), la France se retrouve systématiquement en queue des classements internationaux.
Selon Philippon, et pour le résumer à gros traits, cette singularité française trouve son origine à la fois dans l'histoire du syndicalisme français (développement tardif par rapport à d'autres pays, en raison de la méfiance de l’État à l'égard des corporations) et dans celle du patronat français (caractère paternaliste d'un capitalisme familial beaucoup plus présent en France).

En dehors de toute considération macroéconomique, une telle situation est évidemment néfaste en soi : les salariés préfèrent en général trouver de la satisfaction dans leur travail et l'immense majorité des syndicalistes et des patrons préfèrent entretenir entre eux des relations constructives. Mais Philippon montre en outre, études économiques à l'appui, qu'il est probable que la mauvaise qualité des relations sociales soit aussi un facteur de chômage élevé, sans doute parce qu'elle réduit la probabilité que patronat et syndicats parviennent à se coordonner efficacement pour répondre à un choc sur le marché de l'emploi.

Ce diagnostic le conduit à proposer des réformes pour renforcer la représentativité des organisations syndicales et patronales, revoir la formation des managers ou encore réduire les incitations (par exemple fiscales) à la transmission dynastique des entreprises. Autant de prescriptions intéressantes mais qui laissent à mon sens de côté une solution vers laquelle conduisait logiquement son étude. Pour démontrer que capitalisme familial à la française est bien une des causes des mauvaises relations sociales, Philippon relève en effet que les entreprises qui arrivent en tête des réguliers classements sur "les boîtes où il fait bon travailler" sont souvent en France les filiales de groupes étrangers. Dans les autres pays, au contraire, ce sont des entreprises nationales qui occupent les premières places.

Si tel est bien toujours le cas, la prise de contrôle de sociétés françaises par des groupes étrangers apparaît alors une solution beaucoup plus directe et efficace, parce qu'elle permet de remplacer un management à la française peu performant par un management étranger qui a de grandes chances de lui être supérieur. (d'accord, Mittal est probablement un contre-exemple).

Conclusion : sauf dans des cas limités où des enjeux de souveraineté nationale peuvent se poser (pas Danone), laisser les étrangers racheter librement les fleurons de notre industrie et de nos services nationaux est sans doute une excellente idée. Et la solution de Montebourg consistant à permettre de telles opérations à condition de préserver l'identité de l'entreprise française rachetée pourrait bien être la pire des options.