09 juin 2017

Chronique d’une victoire (qui aurait dû être) annoncée 

Il peut se passer beaucoup de choses en une semaine de vie politique. Et il n'est jamais impossible que les sondages se trompent, y compris lourdement (même si c'est beaucoup plus rare en France qu'au Royaume-Uni).

Mais toutes les enquêtes d'opinion (cf. le toujours précieux tableau récapitulatif de Wikipedia ci-dessous) indiquent une probabilité élevée de victoire pour la République en Marche aux législatives. La principale incertitude semble concerner l'ampleur du succès, entre majorité relative et domination écrasante du groupe LREM à l'Assemblée.



Le contraste est saisissant avec les pronostics de la grande majorité des observateurs (journalistes, politiques, sondeurs, commentateurs professionnels) pendant la campagne. Même ceux qui n'avaient pas vu dans la montée d'Emmanuel Macron une bulle prête à éclater ne lui donnaient que peu de chances de l'emporter aux législatives. Un gouvernement de coalition apparaissait comme le scénario le plus favorable pour En Marche, et une cohabitation comme une hypothèse vraisemblable. On parlait souvent d'une "élection à quatre tours", où toutes les cartes seraient complètement redistribuées après le second. 
  
Mon argument ici est que le succès d'En Marche aux législatives en cas de victoire d'Emmanuel Macron à la présidentielle était, sinon entièrement prévisible, du moins le plus probable. Et que les mauvaises prévisions faites pendant la campagne reflétaient trois grandes erreurs d’analyse, qui ont pu ou non se cumuler : l’oubli de la dynamique créée par un succès à la présidentielle, une méprise sur la force des partis traditionnels et une sous-estimation du soutien à Emmanuel Macron.


L’effet de souffle de la présidentielle

La première erreur, à mes yeux la moins pardonnable, est d’avoir raisonné comme si la présidentielle et les législatives étaient deux scrutins indépendants. 

Ce n'est pourtant pas faute de précédents sous la Ve République montrant que le résultat de la présidentielle conditionne largement celui des législatives. Cinq fois depuis 1958 (en 1981, 1988, 2002, 2007 et 2012) les législatives ont eu lieu dans la foulée de la présidentielle (c'était l'inverse en 1958). A chaque fois, le Président fraîchement élu a obtenu une majorité parlementaire à l'Assemblée. Quatre fois sur cinq, la majorité était absolue pour son parti (PS en 1981 et 2012, UMP en 2002 et 2007), seul François Mitterrand n'obtenant qu'une majorité relative en 1988. Quatre fois sur cinq aussi, le parti du Président s'est imposé face à la majorité parlementaire sortante, le seul cas de continuité étant en 2007.

Ce n'est pas faute non plus de facteurs politiques permettant d'expliquer cette prime accordée au Président élu : la majorité d'électeurs ayant voté pour le nouveau locataire de l'Elysée a généralement mauvaise grâce à ne pas lui accorder de majorité à l'Assemblée pour appliquer son programme ; le Président fraîchement élu maîtrise aussi largement l'agenda médiatique dans la période allant de la présidentielle aux législatives : il peut à peu de frais démontrer le renouveau (en nommant un gouvernement), exposer sa vision pour le pays (en annonçant ses priorités législatives), asseoir sa stature internationale (en rencontrant ses homologues), et tout cela sans avoir encore à affronter le débat parlementaire ou les critiques de l'opinion sur le détail de ses réformes ; dans le même temps, les opposants sont sonnés par la défaite à la présidentielle et doivent faire face à des divisions internes.

Ce n'est pas faute enfin d'exemples passés montrant à quel point se baser sur les rapports de force qui prévalent avant l'élection du Président conduit à manquer la dynamique induite par la présidentielle. En 2002, Le Monde avait publié des projections de sièges aux législatives basées sur les résultats du premier tour de la présidentielle : elles montraient une courte défaite de la droite, qui devait gagner 276 sièges contre 297 à la gauche. L'UMP en a en fait obtenu eu 398. En 2007, le quotidien annonçait 469 "triangulaires virtuelles" en raison du score élevé de François Bayrou au premier tour de la présidentielle. Il y en a eu finalement... une seule.


Des vieilles maisons en ruine

Pour être juste, une partie des observateurs sceptiques sur les chances d’En Marche à la présidentielle avaient bien à l’esprit cette dynamique post-présidentielle. Mais elle pensait qu’elle se briserait sur la force des partis traditionnels, le PS et les Républicains bénéficiant des positions (des députés sortants) et des moyens (un appareil, des militants et un budget) nécessaires pour emporter une campagne législative.

Cette erreur d'analyse est un peu plus subtile, mais elle n'en restait pas moins largement évitable. Parce que toute la séquence électorale commencée à l'automne dernier, comme d'ailleurs les sondages d'opinion, montraient la grande faiblesse de la position des partis dominants.

Depuis l'été 2016 en effet, tous ceux qui croyaient que la réussite électorale passait par le contrôle d'un parti ont été démentis par les scrutins : Nicolas Sarkozy a été éliminé au premier tour de la primaire de la droite; les candidats proches de la direction du PS (Valls et Peillon) ont échoué à la primaire de la gauche; de façon plus anecdotique, la primaire des écologistes a vu la défaite de Cécile Duflot, et la confirmation de la règle. Partout, ce sont les candidats qui en ont appelé aux militants contre la direction qui l'ont emporté.

Cette dynamique du sortez les sortants s'est appliquée, à un niveau supérieur, aux partis eux-mêmes. Les candidats des Républicains et du Parti socialiste n'ont pas franchi le premier tour de la présidentielle. Cela reflète bien sûr en partie les faiblesses de leurs candidats, mais aussi l'impopularité profonde des grands partis eux-mêmes. En mars 2017, selon le baromètre Kantar TNS, le PS était proche de son record d'impopularité atteint en 1993 et en 2014 (60 % de mauvaises opinions, seulement 27 % de bonnes). Les Républicains étaient dans une position très similaire (58 % de mauvaises opinions contre 27 % de bonnes), proches eux aussi de leur plus mauvais scores depuis la création de l'UMP en 2002.

Le seul moyen pour de tels partis de gagner des législatives aurait été d'affronter des partis aussi ou encore plus impopulaires qu'eux, comme le Front National (23 % de bonnes opinions contre 68 % de mauvaises en mars). Mais ils se trouvent dans une situation de grande faiblesse face à LREM, qui bénéfice pour l'instant à plein de la popularité qui va avec la nouveauté.


Pas populaire sans raisons

La troisième erreur a consisté à sous-estimer la popularité d'Emmanuel Macron. Ce mauvais diagnostic avait à mon sens deux ressorts principaux : d'une part, la présence de 4 candidats autour de 20 % d'intention de vote dans les sondages de premier tour pouvait laisser croire qu'ils étaient également populaires (ou impopulaires) ; d'autre part, ceux que la personne et le programme du Président hérissent (j'en connais) ont pu en conclure qu'il ne pouvait pas être populaire parmi une majorité des Français. Un exemple fameux de cette dernière position est la "lettre ouverte à un futur président déjà haï" de François Ruffin, publiée par Le Monde dans l'entre deux tours. 

En réalité, Emmanuel Macron était avant la présidentielle un homme politique apprécié des Français. Dans le baromètre politique Ifop d'avril, il obtenait 55 % de bonnes opinions et était la 3e personnalité politique la plus populaire, derrière Jean-Luc Mélenchon et Alain Juppé (Marine le Pen et François Fillon étaient eux très impopulaires). Comme on pouvait s'y attendre, la victoire présidentielle a encore renforcé le jugement positif sur Emmanuel Macron. Il recevait en mai 67 % de bonnes opinions, seulement dépassé par Nicolas Hulot (81 %).

Ce niveau de soutien montre qu'Emmanuel Macron n'est pas (encore?) aussi polarisant que certains avaient pu le croire. Dans les enquêtes d'opinion précédant le 1er tour, il était ainsi souvent le 2e ou le 3e choix non seulement des électeurs de François Fillon et Benoît Hamon, mais aussi de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, 

Le soutien au candidat (et au Président aujourd'hui) était certes très différenciée sociologiquement : l'enquête Ipsos sur la sociologie des électorats du premier tour fait bien apparaître un gradient selon la catégorie socio-professionnelle (vote Macron à 16 % pour les ouvriers mais 33 % pour les cadres), le revenu ou le diplôme, Mais il l'est nettement moins géographiquement, à rebours de l'image d'une France coupée en deux : Emmanuel Macron obtenait par exemple au 1er tour 21 % des voix en milieu rural, où il n'était devancé que par Marine Le Pen (23 %). 

Comme le notait l'excellent Matthieu Gallard, LREM se trouve donc en position de force aux législatives : à l'inverse du Front National, son soutien est bien reparti géographiquement, ce qui lui permet d'être compétitif dans une grande majorité de circonscriptions; en outre, la position sinon centriste, du moins centrale, du mouvement lui permet de rallier des soutiens venus de gauche comme de droite au second tour. 

Cette martingale, combinée à la dynamique de la présidentielle, devrait ainsi offrir au Président une majorité et les moyens de sa politique. Sans surprise.