01 mai 2012

Pourquoi Sarkozy va perdre* 

Je l'avais écrit en 2004 et je n'ai pas changé d'avis depuis : en dépit de mes sympathies partisanes (auxquelles s'ajoute ces jours-ci un haut-le-cœur certain quand j'entends certains propos de l'actuel président), je continue à "trouver François Hollande désespérément médiocre, et Nicolas Sarkozy invariablement impressionnant."

Et pourtant, je suis depuis longtemps persuadé que Nicolas Sarkozy ne sera pas réélu président de la République. Pour une raison fort simple : il est extrêmement impopulaire. Pas juste impopulaire comme un président en fin de mandat, qui a subi la classique usure du pouvoir. Pas seulement impopulaire comme un dirigeant politique confronté à une crise économique grave et à la nécessité de redresser les comptes publics. Mais exceptionnellement et durablement impopulaire, comme on n'en trouve que peu d'exemples à l'étranger ou dans l'histoire politique française.

Une première manière de l'envisager est de revenir sur l'évolution de la cote de popularité de Nicolas Sarkozy depuis 2007. Une manière simple de jauger la popularité d'un homme politique est de considérer si le pourcentage de ceux qui approuvent son action est supérieure à celle qui la désapprouvent. C'est ce que les sondeurs appellent le solde d'opinion, la cote ou l'indice de confiance.

A cette aune (cf. graphique ci-dessous, version grand format en cliquant dessus), le président Sarkozy a été populaire pendant exactement 7 mois, de mai à décembre 2007. Depuis janvier 2008, seuls trois sondages, au tournant de l'année 2009, lui ont donné un indice de confiance (marginalement) positif. Ce qui veut dire que l'action de Nicolas Sarkozy est depuis plus de 4 ans continûment rejetée par une majorité de l'opinion, ce rejet étant massif depuis plus de 2 ans.




Mais cette impopularité n'a-t-elle pas aussi frappé les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy à l’Élysée? Non, à une exception près.

Si l'on fait la moyenne des indices de confiance enregistrés pour chaque mandat présidentiel depuis 1981 (données TNS Sofres, retracées dans le graphique ci-dessous), on obtient un résultat de +6 pour le premier mandat de François Mitterrand, de -1 pour son second mandat et de - 1 également pour le premier mandat de Jacques Chirac.

Ledit Chirac a ensuite décidé d'oublier les conditions de son élection en 2002, ce qui lui a permis de battre (largement) le record d'impopularité établi par Mitterrand au début 1993 et à parvenir à une moyenne de -27 sur l'ensemble de son second mandat. C'est à dire que le pourcentage de ceux qui désapprouvaient son action étaient, en moyenne sur 2002-2007, supérieur de 27 points au pourcentage de ceux qui l'approuvaient. Autant dire un gouffre.

Et Sarkozy depuis 2007? -27 points également.




Pour enfoncer le clou de mon argument au-delà des moyennes et des courbes, je m'autorise un petit détour historique.

Pour le meilleur et pour le pire, je suis suffisamment vieux expérimenté pour avoir de vagues souvenirs du climat politique du début des années 1990. François Mitterrand avait alors eu la brillante idée de congédier un premier ministre populaire et de le remplacer par une proche dont la capacité à s'imposer à Matignon était pour le moins discutable. Le PS essayait tant bien que mal de retrouver un semblant d’unité après le désastre du congrès de Rennes de mars 1990. Le ralentissement économique mondial du début des années 1990 et la politique du franc fort allaient finir par précipiter la France dans la récession au printemps 1992, le taux de chômage dépassant les 10 % pour la première fois depuis 1945 un an plus tard. Et les "affaires"se rapprochaient de plus en plus du président de la République.

Le discrédit qui pesait sur les socialistes était tel que certains constitutionnalistes avaient pu se demander à l'époque si la gauche aurait suffisamment de députés après les législatives de mars 1993 pour pouvoir saisir le Conseil constitutionnel (60 députés sont nécessaires). Ce fut le cas. De justesse : 52 députés socialistes, 22 communistes. Contre 458 députés RPR et UDF.

La gauche parlementaire a bien sûr vécu d'autres périodes difficiles depuis 1945 : 1958, 1969, 1983 ou 2002 en particulier. Mais on peut soutenir que celle-là était la pire. Ce qui rend d'autant plus frappant le fait que la cote de popularité de Sarkozy (33 % de popularité, indice de confiance de -30 dans le dernier baromètre TNS Sofres) est aujourd'hui à peine supérieure au pire score de Mitterrand sur la période 1991-1993 (31 % et -36 dans le baromètre de février 1993). Je répète : Sarkozy, même après la remobilisation de ses soutiens depuis son entrée en campagne, est aujourd'hui presque aussi (im)populaire que Mitterrand avant la débâcle socialiste des législatives de 1993.

Dans ce contexte, le fait pour le président de parvenir au second tour en réalisant (au forceps) l'unité dans son camp est déjà une performance politique. Mais compte tenu du rejet massif dont il fait l'objet, la seule voie vers la victoire pour Nicolas Sarkozy était de discréditer irrémédiablement son adversaire auprès de l'opinion. Il n'y est pas parvenu. Il sera donc battu*.

* intervalle de confiance à 95 % (confer)